Un arrêté royal du 20 juin 2024 publié au Moniteur Belge ce 9 juillet 2024 limite les droits des franchiseurs actifs dans la grande distribution alimentaire.
La franchise fait parler d’elle depuis quelques mois.
En Belgique : décision de Delhaize de franchiser tous ses magasins, cession du réseau Mestdagh, fin du réseau Match, rébellion de 60 franchisés Carrefour contre l’imposition des prix, extension du réseau Intermarché, implication de Colruyt dans la restructuration du secteur par, notamment, l’ouverture de points de vente franchisés sous l’enseigne Spar et la création d’une nouvelle enseigne Comarché/Comarkt.
En France : le ministère de l’Economie demande que Carrefour soit condamné à une amende de 200 millions d’euros. Sont en cause notamment de nombreuses clauses abusives de contrats qui lient les franchisés aux enseignes Carrefour City, Carrefour Express ou Carrefour Contact. Carrefour conteste le bien-fondé de cette procédure alors que de nombreux franchisés s’estiment victimes des agissements de leur franchiseur qui les conduit à des situations ingérables et économiquement insupportables.
La franchise serait-elle un mauvais système ?
Assurément non car elle permet à de nombreux indépendants d’organiser une activité économique en tirant parti des avantages que leur confère un franchiseur : savoir-faire, assistance, centrale d’achats, organisation du marketing, etc… Ces avantages se payent bien entendu et exigent de nombreux engagements des franchisés (investissements en matériel et en immeubles, crédits bancaires, engagement de travailleurs, temps de travail consacré à l’activité important) mais si le contrat de franchise est équilibré, tout le monde est gagnant : le franchiseur qui ne doit plus gérer ses points de vente et les franchisés qui, s’il s’organisent bien, dirigent une entreprise rentable et se constituent un patrimoine, souvent familial, qui pourra profiter à leurs descendants au terme de leur carrière.
De tout temps, le commerce a été organisé comme cela : un fonds de commerce est cédé à un fils ou à une fille qui reprennent le flambeau à un certain moment ou est cédé à un tiers qui l’achète en payant sa valeur déterminée par les bénéfices prévisibles. L’évolution des pratiques commerciales fait que, aujourd’hui, souvent, ce n’est plus un commerce isolé qui est à prendre en compte mais un commerce faisant partie d’un réseau. Une enseigne a une valeur en soi et intégrer, en tant qu’indépendant, cette enseigne permet de mener une activité attractive pour la clientèle. C’est cela qui a entraîné le développement des réseaux de franchise, développement qui se poursuit jour après jour. La possibilité de céder le point de vente franchisé est souvent prévue dans les contrats de franchise.
Mais alors, pourquoi tant de critiques sur le système de la franchise ? Pourquoi ces rébellions et ces procédures visant à sanctionner les franchiseurs (Carrefour n’est pas un cas isolé) ?
La réponse est simple.
Dans un contrat de franchise, il y a (le plus souvent) une partie forte et une partie faible. Dans la distribution alimentaire, la puissance économique des distributeurs est évidente. Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 20 juin 2024 rappelle que le secteur de la distribution alimentaire en Belgique se caractérise par la présence d’un petit nombre d’opérateurs qui occupent généralement une position dominante dans leurs relations avec leurs partenaires commerciaux lorsqu’il s’agit de PME. Les chiffres du cabinet d’études renommé Nielsen montrent que, dans ce secteur, la distribution contrôle à elle seule près de 80 % des parts de marché en Belgique, et que, dans la majorité des cas, leurs points de vente sont exploités par le biais d’accords de partenariat commercial avec des opérateurs indépendants. Dans le même sens, ce secteur se caractérise par la présence de trois acteurs majeurs détenant une part de marché cumulée très élevée.
Il a été constaté que certains de ces distributeurs imposaient leur loi aux franchisés par des contrats, impossibles à négocier (c’est à prendre ou à laisser), contenant des clauses considérées comme abusives, soit d’office, soit dans certains cas compte tenu du contexte économique. Cela a entraîné et entraine encore aujourd’hui des situations dramatiques de franchisés ruinés, des familles tenues de prendre en charge des emprunts bancaires par le jeu de la solidarité, des entreprises franchisées en faillite, des travailleurs perdant leur emploi. Un grand nombre d’entreprises franchisées dans le secteur de la grande distribution alimentaire présente aujourd’hui des comptes déficitaires, proches de l’obligation de faire aveu de faillite si le franchiseur ne leur octroie pas des avances financières. Ils sont donc totalement dépendant de leur franchiseur qui lui se porte bien, conservant ses parts de marché et ses marges bénéficiaires. Le fond du problème réside en fait dans un partage inégal des profits : le franchiseur recueille les bénéfices de l’activité des franchisés sans laisser une part suffisante à ceux-ci pour être rentables.
C’est pour lutter contre ces abus que l’arrêté-royal du 20 juin a été pris. L’idée de base est d’écarter les clauses abusives qui enlèvent aux franchisés leurs droits élémentaires de gérer correctement leur entreprise.
Voici ces clauses abusives d’office sans discussion :
1° priver la personne qui reçoit le droit de la possibilité de dédommagement ou exclure ou limiter de manière indue le droit de pouvoir s’approvisionner chez des tiers en cas de non-respect ou de manquement à l’obligation de livraison pour des biens et des services dans le chef de la personne qui octroie le droit ;
2° interdire à la personne qui reçoit le droit de se préparer à ou de commencer des négociations en vue de développer une nouvelle activité pendant le délai de préavis ou au cours du délai couvert par une clause de non-concurrence, sous réserve du respect du secret d’affaires lié à l’accord au sens de l’article XI.332/4 du Code de droit économique ;
3° faire supporter par la personne qui reçoit le droit plus de la moitié des coûts résultant de la réalisation et de la mise en œuvre d’actions promotionnelles de vente qui sont imposées par la personne qui octroie le droit ;
4° déclarer comme juge exclusivement compétent pour connaître du litige, le juge dont le siège est celui de la personne qui octroie le droit ; et/ou un juge dont le siège est situé dans une autre région linguistique que le siège de la personne qui reçoit le droit.
Sont également présumées abusives (sauf preuve du contraire), les clauses qui ont pour objet de :
1° procéder à une valorisation forfaitaire du fonds de commerce ou des actions de l’entreprise de la personne qui reçoit le droit, qui aboutit à fixer un prix qui est manifestement déraisonnable compte tenu de la valorisation normale d’un fonds de commerce ou d’actions d’une entreprise ;
2° obliger la personne qui reçoit le droit à exploiter une entreprise structurellement déficitaire depuis au moins douze mois, sans prévoir un délai de préavis de quatre mois maximum pour la personne qui reçoit le droit, sans indemnité supplémentaire ;
3° permettre à la personne qui octroie le droit de terminer l’accord de partenariat commercial en application d’une clause résolutoire expresse.
Cet arrêté-royal est le fruit de longues délibérations qui ont eu lieu dans trois commissions où sont représentés les franchiseurs et les franchisés (la Commission d’arbitrage, la Commission des clauses abusives et le Conseil supérieur des indépendants et des PME). Deux ministres s’y sont penchés et ont adopté le texte proposé au Roi (Le Ministre de l’Economie, P.-Y. DERMAGNE et le Ministre des Classes moyennes, D. CLARINVAL) en s’inspirant des avis de ces commissions (qui s’inspiraient de cas concrets) sans nécessairement les suivre. Le Conseil d’Etat a aussi été consulté.
Cela suffira-t-il à arrêter les abus ? L’avenir le dira. En tout cas, les droits des franchisés s’en sortiront augmentés en cas de problèmes. Et indirectement, les travailleurs occupés dans les points de vente franchisés verront leur sécurité d’emploi renforcée.
Rappelons que cet arrêté ne vise pas tous les contrats de franchise. Il se limite à la grande distribution alimentaire. Mais il apparaît que des abus similaires existent dans d’autres secteurs : notamment la restauration rapide dans le cadre de réseaux de franchise et la distribution de carburants. Rien n’empêchera d’étendre l’application de cet arrêté à ces secteurs ou à d’autres après une délibération approfondie et une justification adéquate comme cela a été le cas pour la distribution alimentaire où les abus étaient avérés et ont été maintes fois dénoncés.
10 juillet 2024
Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris